1989
Janvier: Micheline et moi invitons nos amis en prétextant vouloir célébrer les Rois. Pour mettre un peu de piquant, on donne comme consigne que chacun apporte un cadeau usagé, choisi parmi les objets de sa demeure dont on n'a pas encore osé se départir. La formule que j'emprunte à mon ex, Suzanne et à son chum Pierre, a du succès. C'est Réjean Mathieu qui fait la distribution des cadeaux. Devant tout le monde, Micheline et moi annonçons le vrai motif de la fête, soit notre projet de vivre ensemble.
Puisque l'Université d'Ottawa a ouvert un poste en histoire canadienne, j'ai proposé ma candidature et j'ai demandé à Normand Séguin, Paul-André Linteau et Fernard Harvey de rédiger des lettres de recommandation en ma faveur. Comme mon contrat à la Laurentienne se termine le 30 juin, tout comme celui de Micheline, nous ignorons totalement ce que l'avenir nous réserve. Micheline, qui a enseigné le français langue seconde à Pékin en 1986, m'a parlé d'y retourner. L'idée ne me déplaît pas.
De son côté, Micheline continue à donner des cours en français langue seconde, tout en développant et faisant approuver des cours en cinéma, encouragé par son doyen John Gonder qui souhaiterait développer en français l’équivalent du programme de film studies . Il faut dire que sa recherche doctorale porte sur la présence du cinéma dans la littérature canadienne-française. Inscrite en rédaction de thèse à l’Université de Montréal, elle a sa scolarité et son examen de synthèse de terminer.
23 janvier:Afin d'enrichir mon dossier de publications, je soumets à la Revue d'histoire de l'Amérique française , un nouvel article qui prolonge mes recherches doctorales en mettant à profit le dépouillement effectué pour le GREBE.
6 février: Quant à la vie d'une famille reconstituée, les attentes des uns et des autres varient beaucoup. Étienne et Marjolaine y gagnent une présence masculine qu'ils n'avaient connue depuis longtemps. Mais Louis-Philippe demeure beaucoup plus hésitant et s’adapte mal; il craint de perdre son père. À ce sujet, je me confie à lui dans une lettre dans laquelle je cherche à le rassurer.
Le même jour, je rédige une lettre de protestation destinée à L'Orignal déchaîné qui a publié, dans un numéro précédent du 31 janvier, deux articles où je me suis senti visé. Décrit comme un collaborateur qui ne connaît pas le dossier franco-ontarien ─ce qui me paraît maintenant assez juste─ je n'aurais pas ma place au Conseil de l'enseignement en français. Ma lettre paraîtra dans le numéro du 14 février. Normand Renaud publiera, avec finesse et élégance, une réplique dans le même numéro . Et pour connaître le contexte de cette escarmouche qui scellera notre amité, on pourra lire 3 articles parus dans L'Orignal déchaîné du 31 janvier, soit ceux de Normand Renaud, Fernand Dorais et Luc Comeau.
27 février: Le vice-recteur me propose de renouveler mon contrat au département d'histoire pour une autre année. En principe, il s'agit d'une dernière année car le syndicat n'accepte pas que l'administration puisse faire durer les contrats à durée limitée plus de 3 ans afin de favoriser les postes permanents. Je ne signe pas le contrat, misant sur Ottawa.
21 mars: Retenu sur la liste courte par le département d'histoire de l'Université d'Ottawa, je me rends sur place afin faire une présentation intitulée «Quelques observations sur le développement des ressources et le rôle des provinces dans l'émergence du nouvel industrialisme au Canada». Mon objectif est de démontrer que j'ai déjà intégré une partie de l'historiographie ontarienne, même si mon arrivée en Ontario demeure récente. La visite du département, situé dans un immeuble séparé des salles de cours, me laisse un sentiment d'inconfort. Je n'y trouve pas cette proximité avec les étudiants. Et les professeurs du département tiennent tous leur porte fermée. C'est tout le contraire à la Laurentienne. Peu de temps après, l'Université d'Ottawa m'offre un contrat de 3 ans. Au fait de la nouvelle, le vice-recteur surenchérit en proposant un contrat de deux ans, qui porterait mon séjour à la Laurentienne à 4 ans et ce qui dérogerait, en principe, à la règle syndicale. Il faut dire qu'entretemps, Dieter a travaillé en ma faveur en persuadant le syndicat d'accepter l'entente, après leur avoir démontré l'existence de précédents allant dans ce sens. Avec l'accord de Micheline, je prends alors la décision de laisse tomber la proposition de l'Universté d'Ottawa pour demeurer deux autres années à la Laurentienne.
Début avril: Sans avoir pu le rencontrer et sans même connaître l’ identité de son auteur, je reçois par la poste l'ébauche d’un mémoire de baccalauréat portant sur le Moulin-à-Fleur et rédigé par Michel Rodrigue. Le 7 avril, je lui poste mes commentaires, l'encourageant à remanier son texte et lui annonçant d'avance la question principale que je lui poserai lors de la soutenance. Il terminera avec succès son mémoire, qui devient par le fait même mon premier mémoire de baccalauréat supervisé.
11 avril: La Revue d'histoire de l'Amérique française m'envoie une lettre indiquant que l'article soumis a besoin d'une refonte importante sur le fond mais aussi sur la forme. Si les évaluateurs ont raison d'exiger une réorganisation du texte que je peux faire relativement facilement, il en va bien autrement de trouver quelqu'un de compétent qui pourra revoir mes textes. Or, ce quelqu'un je l'ai à portée de main car Micheline a une excellente connaissance du français et s'avère être une réviseure linguistique hors pair. Cela me prendra néanmoins un bon mois avant de me rendre à l'évidence que je serais capable d'accepter ses critiques, malgré le sentiment d'incompétence et de nullité que cela va provoquer. Or, elle est tellement efficace que plus jamais mes textes et mes livres à venir ne seront soumis sans qu'elle ait d'abord commenté et corrigé mes ébauches. On trouvera d'ailleurs dans mon fonds d'archives, de nombreux brouillons qui avaient subi les assauts de sa plume aiguisée.
Début mai: Je remets à mon doyen Michael Dewson mon rapport annuel.
4 mai: Michael Behiels, directeur du département d'histoire de l'Université d'Ottawa, m'envoie une lettre m'indiquant sa déception que j'aie refusé le poste.
C'est au cours de ce mois que Micheline et moi décidons d'acheter une maison et de s'installer à Sudbury. Même si Louis-Philippe nous annonce qu'il retourne vivre chez sa mère à Montréal, la maison recherchée doit être grande, pour accueillir nos enfants et nos bureaux de travail. Elle doit être située au centre-ville de telle sorte que je puisse faire le trajet à l'université en autobus. C'est ainsi qu'on a le coup de foudre pour une maison rue McKenzie juste en face de Sudbury Secondary High School. Sans la cave, la maison compte 3 étages et plusieurs portes intérieures sont en chêne massif.
Le départ annoncé de Louis-Philippe nous incite à faire une demande afin d'héberger pendant un an un étudiant étranger dans le cadre d'un programme d'Interculture Canada. J'y vois une bonne façon de combler un grand vide. À défaut de voyager, on fait en quelque sorte venir le voyage chez soi. Micheline, qui a eu le coup de foudre pour la Chine, souhaite que la personne qui nous sera proposée provienne d'Asie.
Fin mai: Après plus d'une année de retard, mon deuxième et dernier article tiré de ma thèse de doctorat, paraît finalement dans la revue Histoire Sociale/Social Histoty.
28 mai: Grâce à Micheline, je fais parvenir une nouvelle version de mon article à la Revue d'histoire de l'Amérique française qui sera accepté et paraîtra à l'automne.
26 juin: On emménage au 184 rue MacKenzie, tandis que Micheline achève son contrat à la Laurentienne. Heureusement, Laurier Busque, un ami de l'École des sciences de l'éducation, lui a proposé un contrat, dans le cadre du Programme d'excellence pédagogique de l'Ontario (PEPO), qui l'amène à se déplacer souvent dans le Nord ontarien pour rencontrer des professeurs des écoles secondaires. Puisqu'elle ne sent pas très à l'aise avec la compétition et le carriérisme universitaires, ce nouveau travail lui plaît beaucoup, sans compter que les salaires sont meilleurs que ceux offerts à la Laurentienne.
27 juin: Marjolaine et Louis-Philippe partent deux semaines dans le sud de la France dans le cadre d'un programme d'échange avec des lycées français. L'année suivante, ce sera à notre tour d'accueillir deux de leurs étudiants
Début juillet : Micheline, qui siège au conseil d'administration du Théâtre du Nouvel-Ontario, m'informe que le TNO fêtera bientôt ses 20 ans et pour l'occasion, le conseil souhaite qu'un livre soit rédigé sur son histoire et qu'elle a pensé à moi. La proposition me tente et j'envisage d'impliquer mes étudiants et étudiantes dont Marie-Claude Tremblay à qui j'écris le 4 juillet. Comme le budget prévu n’offre pas d’argent pour payer leur travail, je compte leur proposer de signer leur texte et devenir ainsi historien, dans une démarche de bénévolat. Comptant sur Micheline pour réviser les textes et me donnant le rôle de directeur de l'ouvrage, j'estime que le projet est réaliste.
12 juillet : Dans mon cours sur l'histoire du nord de l'Ontario, une des étudiantes a rédigé, sous forme d'un article, un remarquable travail sur les prénoms attribués à Sudbury au tournant du XXe siècle. L'article de Geneviève Ribordy, sur lequel je suis peu intervenu, est tellement bon que je le propose à la Revue d'histoire de l'Amérique française , en mentant délibérément sur le statut de son auteure. Connaissant le côté subjectif du processus d'évaluation, j'estime alors qu'il faut la présenter comme étudiante à la maîtrise plutôt qu'en deuxième année du baccalauréat. Toujours est-il que son article est rapidement accepté et servira même à illustrer la page de couverture de la revue. Pour cet article, je reçois un appel de Louise Déchêne qui fait les éloges du texte et qui se montre déçue d’apprendre que Geneviève se destine ultimement à l’histoire européenne et non à l’histoire canadienne.
Mi-juillet: L'ex-mari de Micheline, Jean-Claude, a acheté un chiot aux enfants. Étienne et Marjolaine décident de l'appeler Pico qui devient tout de suite membre à part entière de la famille.
Août: Le départ à la retraite de Robert Toupin ouvre un poste en histoire européenne en français. Celui choisi par le département se nomme Pierre Cameron. Bien qu'il n'ait pas encore complété son doctorat, il s'avère un excellent communicateur avec qui on peut rebâtir le programme d'histoire en français à la Laurentienne.
19 août: Nous accueillons à la maison notre étudiant. Il s'agit d'un adolescent de Thaïlande qui s'appelle Kong mais qui ne dit pas un mot de français, tout en se débrouillant en anglais. Malgré cet handicap et en dépit de ses objections, nous l'inscrivons à l'École secondaire publique française, soit à MacDonald-Cartier. C'est une question de principe : il devra apprendre le français qui est la seule langue parlée à la maison.
28 août: Je faits parvenir à L'Orignal déchaîné une copie de ma lettre de démission du Conseil de l'enseignement en français que je faisais parvenir à Dyane Adam en mai.
Début septembre: Le début de session est repoussé, car le syndicat des professeurs a déclenché la grève. J'ai voté en faveur avec enthousiasme. Des piquets de grève sont érigés sur le campus. Pour mériter ma paie de grève, je fais du piquetage devant l'entrée secondaire, tous les matins. Dieter qui a le même horaire que moi, me fait connaître d'autres collègues anglophones des autres départements et facultés. J'adore l'expérience qui dure un peu plus d'un mois. Un seul collègue de mon département ne respectera pas les piquets de grève et sera un scab. Après le conflit, je ne lui adresserai plus jamais la parole, refusant même de le saluer dans les corridors.
Sur les piquets de grève, je convaincs Geneviève de faire partie de l'équipe d'auteurs de l'histoire du TNO. Dans cette équipe d'apprentis historiens, je compte aussi, au niveau du baccalauréat, sur Marie-Claude Tremblay, également fort douée et très à l'aise à l'écrit. L'épouse d'un collègue intéressée par l'histoire, Hélène Lavoie, est également du nombre, tout comme deux étudiants, qui débutent leur maîtrise avec moi et qui se joignent à l'équipe, soit Michel Rodrigue et Paul de la Riva. Pour compléter cette équipe fort talentueuse, il y a un jeune étudiant que Fernand Dorais m'a chaudement recommandé, Marc Despatie. Pour en savoir davantage, on pourra consulter le texte consacré à la genèse de cet ouvrage encore en devenir.
Mi-octobre: La session démarre en folie. Il faut rattraper les cours perdus. Pour le projet du TNO, l'équipe passera de nombreuses journées à dépouiller leurs archives dans les locaux à peine chauffés rue King.
17 décembre:Donald Dennie et moi soumettons un article à la revue Cultures du Canada français sur «L'importance du choix de la langue d'enseignement chez les étudiants universitaires franco-ontariens». Cet article s'appuie sur des sondages effectués auprès des étudiants au cours de l'année universitaire 1988-1989 alors que nous étions membres du Conseil de l'enseignement en français.
Fin décembre- début janvier: Les Fêtes se passent dans la joie. Kong, qui réussit fort bien à l'école, commence à nous parler en français, car nous l'exigeons. Pour les Rois, on invite tous nos amis de Sudbury. Sont présents quelques membres de L'Orignal déchaîné, que l'on reconnaît au panache dessiné par leurs mains. Et le hasard ─ou plutôt le gâteau des rois─ a voulu que la reine soit Marie-Andrée Sauvé et le roi, Randy Blake.
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