1979-1985: Chargé de cours

1979

Septembre: Par l'intermédiaire de Normand Séguin, j'obtiens une première charge cours à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Pour la première fois de ma vie, j'aurai une classe à moi. Je me vois encore assis à mon bureau en train de relire mes notes alors que les étudiants et étudiantes entrent en classe. Quand je lève les yeux, ils sont près de 70 à suivre le cours «Concepts et méthodes de la science historique». Parmi ce groupe, deux parviendront à compléter le doctorat, soit Martine Tremblay et Claude Bellavance.

Compte tenu qu'on paie mon déplacement par autobus, mon coucher au motel Diplomate -car le cours se donne de soir- et qu'on me verse une somme forfaitaire pour les repas, le revenu n'est pas négligeable pour un budget étudiant. Bien sûr, les années à venir en tant que chargé de cours allaient être encore des années de revenus irréguliers et insuffisants, sauf en 1982 alors que j'atteins le maximum des revenus admissibles. Dans l'ensemble, il est heureux pour le budget familial que Suzanne travaille à temps plein comme fonctionnaire à la Curatelle publique du Québec. À cette époque, alors qu'on est sensé s'aimer pour la vie, nous n'avons qu'un seul compte bancaire conjoint.

Dans la mesure où ma tâche d'auxiliaire de recherche au CRIU tire à sa fin, ce travail de chargé de cours tombe à point et constitue un virage fondamental dans ma carrière. Je me rends rapidement compte, en effet, que j'adore l'enseignement, que mes maîtres à penser en matière pédagogique, qu'ont été Michel Therrien et Michel Brunet, m'ont montré l'essentiel du métier.

Cette première charge de cours me permet également de rencontrer sur une base régulière Normand Séguin à son bureau. Ces rencontres sont des moments d'apaisement qui contrastent avec ceux vécus à l'UQAM alors que mes travaux et mes brouillons de chapitre de doctorat seront longtemps - et sans doute avec raison- critiqués sans ménagement.

1980

Hiver: En tant qu'étudiant au doctorat à l'UQAM, le département d'histoire m'offre une charge de cours en guise d'appui. Il s'agit du cours d'histoire économique et sociale du Québec, qui correspond à mon champ de recherche. Quoique le cours se déroule bien, je me sens moins à l'aise qu'à l'UQTR.

Mai: Fort de mes deux charges de cours consécutives, je demande de l'assurance chômage, en tant que travailleur saisonnier. Le programme est à l'époque beaucoup plus généreux qu'aujourd'hui. Au fil des ans, j'en toucherai régulièrement pendant les périodes sans travail.

20 mai: C'est le référendum au Québec. J'ai voté oui, comme bien des jeunes de ma génération, et Suzanne s'est beaucoup investie dans la campagne référendaire.

Début juin: En raison du renouvellement de la convention collective, Suzanne reçoit un chèque de rattrapage salarial qui nous permet de rêver à un autre voyage en Europe. On décide d'aller visiter Athènes et les îles grecques. Après m'être déclaré non disponible pour travailler, nous partons deux semaines,chacun avec un sac à dos, allant d'île en île. On voyage léger à cette époque et les photographies prises sont développées en diapositives que l'on présente au retour aux amis et à la famille. Les îles de Santorini et de Myconos m’ont particulièrement impressionnées.

Automne: Je donne un 2e cours à l'UQTR: «Capitalisme: développement et crise». Peut-être que ce sont les échos positifs reçus par le département à la suite de mon premier cours et l'appui de Normand Séguin qui plaident pour ma cause. Dorénavant, je peux compter également sur l'UQTR pour mener à bien ma modeste carrière de chargé de cours.

1981

Hiver: À nouveau chargé de cours à l'UQTR. J'hérite de «Québec 1760-1850: économie et société». Est-ce dans ce cours ou dans un autre, je ne sais pas, mais les quelques expériences d'enseignement accumulées m'amènent à tenter des expériences d'évaluation qui sortent des sentiers battus. C'est ainsi que j'organise des débats entre des équipes étudiantes qui doivent défendre des thèses divergentes. La formule a du succès.

Lors des rencontres informelles avec Normand Séguin à l'UQTR, il commente mes brouillons. Je revois encore mes textes caviardés. Certaines phrases, et quelque fois même un paragraphe entier, sont biffés avec la mention voir au verso. Retournant la feuille, je retrouve réécrites mes idées exprimées de manière plus élégante et plus intelligible. Quelle belle façon de prêcher par l’exemple! Je retiens le procédé à telle enseigne que la très grande majorité des 50 mémoires de baccalauréat et de maîtrise que je superviserai, par la suite, répéteront cette démarche pédagogique.

Suzanne s'inscrit à des cours à l'UQAM. Elle en suivra pendant plusieurs années à chaque session, plus souvent qu'autrement deux soirs par semaine. Pendant ses cours et ses travaux, j'assume l'intendance à la maison.

Automne : Pour la première fois, j'obtiens deux charges de cours lors de la même session: l'une à l'UQTR et l'autre à l'UQAM. Parallèlement, je continue mon programme de lectures obligatoires de ma scolarité.

22 décembre: Gilles Lavigne, maintenant professeur à la Télé-Université, m'offre un premier contrat en tant que professeur consultant pour développer certains travaux pratiques du cours «Frontière de l'homme» dont il est responsable.

1982

Hiver: Le seul cours que je donnerai cette année-là est à l'UQTR. Il s'agit de «Dimension philosophique et sociale de la connaissance historique» qui me force à explorer des champs hors de ma spécialité. Je lis Max Weber, Joseph Schumpeter, Henri Lefebvre et d'autres.

22 mars: Gilles Lavigne, renouvelle mon engagement à la Télé-Université pour le cours de «Démarche en sciences anthropologiques». Cette fois, je travaille presque à plein temps, grâce à deux contrats consécutifs. J'adore l'expérience, par ailleurs fort bien payée, parce qu'il faut concevoir des travaux à distance novateurs et qui maintiennent l'intérêt des étudiants et étudiantes inscrits. J'apprivoise ainsi la vulgarisation scientifique en travaillant notamment sur les techniques d'observation, à partir des formes urbaines, et sur un jeu pour démontrer la précision des techniques d'échantillonnage au hasard.

1er avril: Comme j'en ai déjà pris l'habitude quand j'achète un livre, j'inscris cette journée-là, une réflexion qui annonce la fin de ma scolarité de doctorat.

Été: Je crois bien que c'est cet été-là qu'avec Ginette et son chum Jacques, nous partons Suzanne, moi et Louis-Philippe pour le sud de la Californie pendant deux semaines. Au programme, Disney Word, les Studios Universal, le zoo de San Diego et après un long détour nécessaire, Las Vegas et le majestueux Grand Canyon. Les couchers ont lieu dans des hôtels et motels tandis que les déplacements se font dans une grande voiture louée que Jacques conduit tout le long du trajet. Une panne en plein milieu du désert de Mojave, avec un arrêt obligé à Rice, reste encore gravée dans les souvenirs.

Ce sont les paysages des parcs nationaux qui m'ont marqué le plus avec, entre autres, la descente en radeau du Glenn Canyon. Même si les photos prises sont développées en diapositives et sont beaucoup trop orientées vers les paysages, il m'arrive de résussir sur le plan esthétique quelques photos des voyageurs. Évidemment il y a eu un certain nombre de photos de Louis-Philippe mais, des décennies plus tard, je reste agréablement surpris d'une photo prise d'une Suzanne songeuse pendant que Louis-Philippe joue avec un lézard de plastique acheté à Disney Word.

Comme à chaque été pendant ses vacances, mon père nous rend visite rue Christophe-Colomb. Louis-Philippe et mon père ont une belle complicité. Sur le balcon arrière, qui sert de cour de jeu il y a une balançoire installée par mon père. Cet été-là, Louis-Philippe espiègle emprunte le chapeau de son grand-père!

Automne: Avec François Charbonneau et un de ses amis architecte, Roberpierre Monnier, on cherche à acheter un vieux triplex à rénover dans le Plateau Mont-Royal alors que ce quartier n'est pas encore à la mode et que les vieilles maisons se vendent une bouchée de pain. Gilles, qui a déjà acheté rue Marquette, nous encourage à le faire. Mais les taux d'intérêt élevés de l'époque freinent momentanément nos ambitions.

1983

Hiver: Aucune charge de cours cette année-là et c'est délibéré. Je veux plutôt me concentrer sur mon doctorat, tout en profitant de contrats à la Télé-Université, à temps partiel. Cette année-là, Gilles me demande de participer à l'élaboration d'un film sur l'évolution de l'habitat au Québec, en tant que conseiller scientifique avec le cinéaste Louis Laverdière. Un des amis de ce dernier, le cinéaste André Forcier, nous accompagne quelque fois sur nos lieux de tournage. Je termine ce contrat le 31 mai.

Printemps: Avec François et Roberpierre, Suzanne et moi achetons, en copropriété indivise, un vieux triplex en très mauvais état, rue De Lanaudière. Tout est à refaire dans ce bâtiment datant du début de XXe siècle dont la façade fait 30 pieds avec, en prime, une magnifique bow-window. Notre entente prévoit que Roberpierre occupera le rez-de-chaussée, nous, l'étage du milieu, et François le dernier. Mes bourses de doctorat, précieusement mises de côté, jouent un rôle décisif dans notre mise de fonds commune. Le financement de la rénovation est assuré par la Caisse Populaire Saint-Stanislas, située juste à côté. Vis-à-vis de la Caisse, notre ambitieux projet est cautionné par Roberpierre, un architecte en bonne et due forme, qui signe les plans et rédige les devis. Mais il faut d'autres sous pour avancer suffisamment les travaux d'infrastructure afin d'obtenir, de la Caisse, du financement qui sera versé au fur et à mesure de l'évolution des travaux. Puisqu'il vient de recevoir de la CSST une importante somme d'argent, je demande à mon père de me faire un prêt personnel et il accepte de me prêter 13,300$ dont 12,000$ seront investis dans le projet.

Quoique l'offre de mon père soit généreuse et essentielle pour la réalisation de notre projet, je n'ai pas aimé devoir contracter par écrit cette dette que je rembourserai beaucoup plus tard. Je me suis bien promis, à ce moment-là, que jamais je n'obligerai mes enfants à faire de même s'ils avaient besoin de mon aide.

Été: Dans mes temps libres, je consacre beaucoup de temps aux travaux de démolition et de construction. J'apprends beaucoup à travailler de mes mains, renouant ainsi avec ce que je croyais être ma destinée de devenir ouvrier.

Fin de l'automne: On emménage au 4721 rue De Lanaudière dans un immense logement de près de 1500 pieds carrés de surface. On convient, étant donné que l'insonorisation n'est pas parfaite, que Suzanne arrêtera ses pratiques de flûte traversière à 22h00. Et quand un des trois ménages organise un party, notre convention veut également qu'on invite toujours les deux autres étages à la fête.

1984

Hiver: Je reprends du collier en tant que chargé de cours à l'UQTR.

Parallèlement, je rédige quelques chapitres de ma thèse, après avoir dépouillé plusieurs dossiers et registres forestiers conservés non pas aux archives mais au ministère des Terres et Forêts à Québec.

Début octobre: Libéré d'une partie de son enseignement, Bernard Dionne, professeur au Cégep de Saint-Jérôme, cherche un remplacement pour ses cours d'histoire du Québec. Je le remplace à pied levé, pour la session d'automne, en assumant l'équivalent de 44% d'une pleine charge d'enseignement. Pour la première et non la dernière fois, quelques collègues, qui me croisent dans les corridors après mes cours, me taquinent sur ma voix qui serait forte au point de traverser les cloisons des classes.

1985

Hiver: Deux charges de cours à cette session, dont une à l'Université de Montréal et l'autre à l'UQTR. Ce sera la seule que je donnerai à l'UdM. Me liant avec les étudiants et les étudiantes, je les invite pour le dernier cours à la maison pour un séminaire. La chose n'a peut-être pas plu à la direction. Toujours est-il que cette institution ne m'offrira plus de cours par la suite.

Aucun des étudiants inscrits au doctorat de l’UQAM, n'a encore terminé sa thèse. Le département exige des thèses solides afin d'établir la réputation de ce nouveau programme. Mais le bureau des études supérieures s'en inquiète et demande aux professeurs concernés d'accélérer les procédures. Soudainement, les objections et les réticences qui accompagnaient ma démarche s'aplanissent. Je sens, pour la première fois peut-être, une volonté que je termine.

Les salaires gagnés servent à payer les frais de transcription et d'impression de ma thèse, grâce à un des logiciels de traitement de texte qui font alors fureur et qui rendent désuète ma machine à écrire achetée pour le cégep. J'engage quelqu'un pour transcrire et sauvegarder mes chapitres de thèse sur support magnétique. Ne connaissant pas le procédé, j'oublie de demander une copie informatisée de ma thèse, me contentant de la version papier.

Printemps: Fernand Harvey, qui œuvre à l'Institut québécois de recherche sur la culture, me propose un contrat afin de rédiger un guide d'utilisation des publications officielles traitant des activités forestières. Le guide servirait notamment aux différents chantiers d'histoire régionale que parraine l'IQRC. Fernand, qui a le don ne nous faire sentir à l'aise dans les collaborations qu'il met en œuvre, est le premier à m'avoir donné des conseils sur l'art de composer un curriculum vitae. Grâce à ce contrat qui me rapproche de ma thèse de doctorat, je n'ai pas besoin, cette année-là, de donner d'autres charges de cours. Le guide paraîtra finalement l'année suivante.

Automne: François et Roberpierre ont d’autres projets immobiliers. Ils désirent acheter un vieux bâtiment désaffecté rue Saint-Antoine près de Berri. J'embarque dans le projet avec une motivation d'investisseur, en convainquant Suzanne, Ginette et son chum Jacques de nous porter acquéreur d'une de six unités de la copropriété, divise celle-là. Une connaissance de Roberpierre, Jean Phaneuf, qui désire une unité pour y résider, fait notamment partie du groupe. Jean et moi sommes désignés pour les représenter auprès de l’institution financière prêteuse, la Caisse Populaire Saint-Stanislas que nous devrons rencontrer sur une base régulière.

Décembre: Quelques jours avant Noël, je dépose officiellement ma thèse de doctorat, avec l'approbation de mon directeur.