1975-1979: Maître et auxiliaire de recherche
1975
Septembre: Mes premiers jours à l'Institut d'Urbanisme de l'Université de Montréal, rue Darlington. Dans un petit pavillon, où se loge également l'École d'architecture, l'Institut offre un accueil bien plus chaleureux que celui du département d'histoire. Ici, la secrétaire nous sourit et finit rapidement par connaître nos noms. Comme le programme dure deux années complètes, chaque mois de septembre provoque le renouvellement de 50% des étudiants. Nous sommes peut-être une quarantaine à y être admis cette année-là dont celle qui deviendra ministre libérale, Michelle Courchesne.
Les étudiants de ma cohorte proviennent d'une douzaine de disciplines différentes. Il y a quelques architectes, des ingénieurs, mais aussi des gens des sciences humaines. Comme il s'agit d'une maîtrise professionnelle, il n'y a pas de mémoire de maîtrise, mais un stage prévu à la fin de la première année. Nous sommes quelques-uns seulement à être mariés et je crois bien que je suis le seul à avoir un enfant. Un enfant qui fait ses nuits déjà.
J'aime les cours qui tranchent avec mes dernières années universitaires, surtout ceux de droit. Lors d'un débat où je défends les positions du Québec en matière d'aménagement du territoire, je lance aux adversaires la tirade de Cicéron tirée des Catilinaires: «Quo usque tandem abutere, Ottawa, patientia nostra!» La formule a de l'effet car la prof est morte de rire.
En travaillant au service des ressources humaines de l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu, Suzanne s'est lié d'amitié avec une collègue, Ginette Lamarre, qui y travaillait en poursuivant des études. Très vite, elle vient à la maison avec son mari, Jean-Pierre qu'elle appelle son chum. Cela m'agace, mais je ne lui dis pas. Je me ferai peu à peu à l'expression et à sa contrepartie. Plus proche des courants nouveaux, Ginette nous fait évoluer. C'est ainsi qu'elle nous présente, lors d'une soirée qu'elle organise, un couple de ses amis qui sont gais. Moi qui, par mon éducation, les avais stéréotypés et diabolisés, je dois refaire mes devoirs. Merci Ginette.
1976
Mars: À la suite d'un référendum tenu auprès du personnel et de la communauté, la direction de l'hôpital Saint-Jean-de-Dieu décide de changer son nom pour Hôpital Louis-Hyppolite Lafontaine. Bien que, comme plusieurs employés, j'aie voté pour Louis Riel, ce nom n'est malheureusement pas retenu.
Printemps: Je me rends à l'évidence que la pratique d'urbaniste à faire des règlements de zonage pour une ville ou une communauté urbaine ne m'intéresse pas. Il faut donc que j'oriente ma recherche de stage en conséquence. Je préfère continuer à réfléchir sur la ville en tant qu'objet et c'est au Centre de recherches et d'innovations urbaines (CRIU) que j'adresse ma demande. En prévision de ce stage non rémunéré, il faut obtenir du bureau du personnel de mon hôpital un congé sans solde. Mais ce congé m'est refusé, malgré mes 3 ans de loyaux services. Je dois démissionner de Louis-H. Lafontaine.
Été: Au CRIU, je découvre un nouvel environnement de travail à titre d'auxiliaire de recherche. Je fais la rencontre de François Charbonneau qui vient de terminer sa maîtrise. Au fil de nos échanges, j'apprendrai beaucoup grâce à lui. Pour examiner la spécificité de la formation de l'espace québécois, on m'assigne l'examen de la coupe forestière en tant que facteur d'appropriation et de transformation du territoire. Tout se passe bien car on m'offre de poursuivre, à temps partiel, mon travail à l'automne, en étant cette fois rémunéré. Pour la première fois de ma vie, je me servirai de mes études pour faire un peu de sous.
Septembre: Lors de cette nouvelle session, un cours d'Éric-Roberto Weiss-Altaner m'a profondément marqué et aura des grandes répercussions sur mon enseignement: «Apports transdisciplinaires à l'urbanisme» dans lequel il aborde les concepts de base du matérialisme historique élaborés par Karl Marx. Le prof nous apprend à faire nôtres des concepts fondamentaux, comme celui de valeur d'usage et de valeur d'échange. Je suis confronté à un cours théorique, inexistant en histoire, et cela me fascine. Il faut dire que l'ère du temps est de gauche avec ses revendications sociales.
Organisé par l'Institut d'Urbanisme, un voyage à New York me fait découvrir cette ville avec ses gratte-ciels et Central Park, en cette année du 200e anniversaire de l'indépendance américaine. J'ai tellement aimé que j'y retournerai à quelques reprises, au cours des années suivantes, une fois avec Normand et sa future blonde Angèle, une autre fois avec Michel et Rolande. À chaque fois, on dort au Times Square Motor Hotel, en plein cœur de Manhattan. L'université, comme elle doit toujours le faire pour ses étudiants, m'ouvre sur le monde.
15 novembre: À l'époque souverainiste, je vote, comme bien d'autres, pour le parti Québécois qui remporte la victoire. Cette victoire entraîne cependant un changement de gouvernement et l'arrivée d'un nouveau ministre de la culture. Cette victoire menace les subventions de recherche gouvernementales du ministère de la culture dont le CRIU a grand besoin. Je perds provisoirement mon contrat d'auxiliaire de recherche.
Peu de temps après, je fais une demande pour travailler à l'hôpital Notre-Dame qui est située à un trajet d'autobus de la maison rue Louis-Hébert. Mon expérience de 3 ans à Louis-H m'aide sans doute à obtenir un poste de soir à temps partiel au 5eA-B. Nous sommes encore à l'époque où les infirmières ne peuvent pas s'occuper des parties intimes des patients masculins. Je rase des patients avant leur opération, mais je pose également des gestes médicaux en insérant des cathéters à ceux incapables d'uriner au lendemain de leur chirurgie.
1977
Janvier: Un dernier cours m'est demeuré en mémoire lors de cette maîtrise, celui de Gilles Ritchot intitulé «Théorie de la forme urbaine» offert à l'hiver 1977. S'appuyant sur les concepts de valeur d'usage et de valeur d'échange, il élabore une théorie qui ne me convainc guère, mais qui a le mérite de définir toute une série de concepts -que je ferai miens-, telles les formes quartier, faubourg et banlieue.
28 février: Je quitte mon emploi à l'hôpital Notre-Dame et retourne travailler au CRIU, toujours à temps partiel.
Début mai: Mes cours sont terminés et pour la première fois depuis que j'ai 6 ans, je ne serai plus étudiant. Mon diplôme obtenu, je reste au CRIU où je travaille à plein temps. Je découvreun livre qui vient de paraître, La conquête du sol de Normand Séguin. Son ouvrage me marque profondément, en raison notamment de sa problématique sur les activités agro-forestières. Et mon collègue de travail François me fait connaître un autre ouvrage décisif dans mon cheminement, le livre de Harry Braverman qui vient de paraître en traduction française sous le titre Travail et capital monopoliste. Ce livre m'accompagnera, par la suite, dans mon cours sur l'histoire du travail au Canada, tout au long de mon enseignement.
23 juillet: Avec Normand, Suzanne et moi partons en voyage en Angleterre pendant 4 semaines.Louis-Philippe est confié à Lucie, une des sœurs de Suzanne. Si on passe quelques jours à Londres et qu'on visite l'incontournable British Museum, on sillonne l'Angleterre,l'Écosse et même l'Irlande, en Mini 1000 de Austin que Normand conduit avec adresse. Ni Suzanne, ni moi ne conduisons à l'époque, ce qui est encore vrai pour moi aujourd'hui.
Automne: Même si j'adore mon travail, les études me manquent et mes recherches sur l'histoire de l'exploitation forestière pour le CRIU me donnent le goût de poursuivre au doctorat en histoire. Comme j'ai déjà dépouillé, pour le CRIU, plusieurs rapports annuels des responsables québécois des forêts au 19esiècle (le Commissaire des Terres de la Couronne), j'y ai vu un potentiel pour examiner la question forestière à l'échelle du Québec. Plutôt que dépouiller des fonds d'archives comme le font la plupart des historiens, je découvre la grande richesse de ce qu'on appelle les publications officielles, seules capables de constituer un corpus documentaire à l'échelle de tout le Québec. Dans la mesure où j'ai déjà un baccalauréat et une maîtrise de l'Université de Montréal, je cherche ailleurs pour ces études de 3e cycle. L'UQAM vient justement d'ouvrir un nouveau programme de doctorat en histoire. Je m'y inscris et je suis accepté pour la session de janvier.
1978
Janvier: Début de ma scolarité. Nous sommes quatre étudiants de cette première cohorte du programme, trois d'entre nous obtiendrons notre diplôme après plusieurs années d'efforts. Outre moi, il y a Jean-Pierre Kesteman, qui était déjà prof à l'Université de Sherbrooke, et Johanne Burgess.
Je suis le seul qui n'a pas d'expérience dans la rédaction d'un mémoire de maîtrise et cela me pénalisera beaucoup. Mes deux seuls atouts sont ma ténacité, car je lâche pas le morceau facilement, et Normand Séguin, prof à l'Université du Québec à Trois-Rivières, membre de mon comité de doctorat. Ce dernier, proche de mes champs d'intérêt, s'avéra d'une écoute extraordinaire et me donna tellement de bons conseils que, sans lui, je n'aurais jamais complété ce doctorat. Les deux autres membres de mon comité sont Paul-André Linteau, toujours efficace et bien préparé, et Alfred Dubuc qui, officiellement, fut mon directeur de thèse. Maintenant qu'il est décédé depuis un bon moment, je peux raconter une anecdote au sujet de mon directeur. Deux ans après mon arrivée, alors que je le croise dans le corridor, M. Dubuc m'interpelle et me demande qui est mon directeur de thèse, alors qu'il avait oublié pendant une fraction de seconde, que c'était lui!
Lors de cette première session, c'est le cours de lectures dirigées qui occupent beaucoup de mon temps. Trois blocs de lecture me sont assignés. Le premier porte sur le rapport agriculture-forêt dont j'avais déjà beaucoup discuté au CRIU. Je suis suffisamment satisfait de mon travail pour le proposer à la Revue d'histoire de l'Amérique française qui le publie l'année suivante.
8 janvier: Naissance, à Rabat au Maroc, de Marjolaine Lacroix, fille de Micheline Tremblay et de Jean-Claude Lacroix. En janvier 1990, Marjolaine allait, en pratique, devenir ma fille adoptive.
Février-Mars: Je complète une demande de bourse de doctorat au gouvernement du Québec. Est-ce le traitement de l'histoire de l'exploitation forestière à l'échelle du Québec qui me vaut la bourse? Je ne sais pas, mais cette bourse annuelle de 5,000$ qui me sera accordée pour les années universitaires 1978-1979, 1979-1980 et 1980-1981, sera précieuse pour nos projets d'avenir.
1er mai: On déménage au 7075 rue Christophe Colomb. Le déménagement est épique car on part d'un part d'un 3e étage pour emménager dans un autre 3e étage. Heureusement que nous sommes jeunes, que nous avons des amis et de la famille.
Septembre: Sans compter mon programme de lectures dirigées qui se poursuit, s'ajoute un séminaire de doctorat qui dure toute l'année et qui sera extrêmement enrichissant. Deux séminaires me restent en mémoire. D'abord il y a celui où je fais la rencontre, à l'UQAM, de l'historien américain David Montgomery dont le parcours est très proche de celui de Braverman. L'autre séminaire est celui au cours duquel Stanley-Bréhaut Ryerson traite de la démarche de l'historien britannique Éric Hobsbawn.
Au CRIU, je travaille dorénavant à temps partiel, tout en profitant grandement des échanges avec François. Je suis à même de développer quelques réflexions théoriques, ce qui transparaît d'ailleurs dans la conclusion de ma note de recherche publiée à la RHAF. Je me lie également avec un autre ancien de l'Institut d'Urbanisme, Gilles Lavigne, qui prend la direction du CRIU.
1979
2 mars: Naissance à Montréal d'Étienne-Julien Lacroix, fils de Micheline Tremblay et de Jean-Claude Lacroix. En janvier 1990, Étienne allait, en pratique, devenir mon fils adoptif.
Décembre À la fin de cette année-là, l'Université de Montréal décide de mettre la clef dans la porte. Je perds mon emploi d'auxiliaire de recherche.
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