1988
Janvier: Le retour à l'enseignement m'enchante. Dès mon arrivée en septembre, mon directeur de département, Angus Gilbert, avait déposé sur mon bureau l'ébauche d'un mémoire de maîtrise dont il fallait que je m'occupe, en raison du départ de Gaétan Gervais. Cette recherche de Micheline Marchand sur Penetanguishene constituera ma première direction. Je consacrerai passablement de temps à ce mémoire, notamment au cours de l'hiver.
Et j'espère bien relancer Micheline. Mais dans l'immédiat, Jean me préoccupe et je lui adresse une lettre qui, dans les circonstances, manque terriblement de sensibilité. Me plaignant de ne pas l'avoir vu, j'ai alors l'intuition que Jean me cache quelque chose de grave et c'est la raison pour laquelle il aurait refusé que l'on se voie au cours des Fêtes. J'espère me tromper en lui faisant part de ma crainte qu'il souffre du SIDA. Je ne sais pas encore qu'il se meure, et que cela me bouleversera profondément. Sa mort, survenue en février, me fera réfléchir sur l'expression voulant que: «Les oiseaux se cachent pour mourir». Égoïstement, je n'accepte pas, à ce moment-là, qu'il m'ait privé de sa présence, m'empêchant du même souffle de lui exprimer toute mon affection. Aujourd'hui, je m'en veux et je lui donne raison d'avoir agi ainsi.
Si je pleure cet ami perdu, c’est aussi parce qu’il n’a pas pu être témoin de ma mise en pratique de tous les conseils qu’il m’avait donnés sur le véritable amour à construire avec l’autre. Un amour qui se nourrit de quotidien où l’autre s’ajoute à un bonheur que nous avons d’abord avec soi-même.
18 janvier: Bien que j'aie soumis le premier de mes articles tirés de ma thèse le 9 décembre, ce n'est que cette journée-là que la Revue d'histoire d'Amérique française en accuse la réception. Étant donné que je connais un peu la directrice de la revue, Fernande Roy, puisqu'elle a soutenu, quelques mois après moi, son doctorat à l'UQAM, je crois en mes chances, malgré les 9 ans qui me séparent de ma dernière publication dans cette revue à comité de lecture.
Février: Pour la semaine de relâche, je descends à Montréal avec Dieter et Judith. J'y verrai également Micheline avec qui je me suis rapproché, malgré ses hésitations. À mon retour à Sudbury, j'écris à Gilles Lavigne et à sa blonde, Nanouk, installés à Nice. La lettre envoyée jette un bel éclairage sur l'état de mes sentiments et sur ma situation.
1 er mars: La Revue d'histoire de l'Amérique française accepte de publier mon article.
Mi-mars: Désirant demeurer à la Laurentienne, j'obtiens finalement un renouvellement de contrat, comme en témoigne la lettre du 16 mars adressée au vice-recteur.
Mi-avril: Louis-Philippe m'annonce qu'il vient vivre avec moi à compter de l'été. Je suis comblé.
Début mai: Je déménage à la coopérative d'habitation Place Verchères. Quant à mon condo de Montréal, j'ai décidé de le vendre, misant sur Sudbury pour mon avenir. François et Roberpierre s'occupent de le vendre. En quelques semaines, il est vendu, car le Plateau Mont-Royal a beaucoup gagné en popularité.
3 mai: Une lettre à une copine de Montréal révèle jusqu'à quel point ma situation professionnelle et sentimentale évolue rapidement.
Pendant la longue fin de semaine de mai, je descends à Montréal afin de participer au conventum de finissants de Saint-Pierre-Claver classique de 1970. J'avais commencé à organiser ce conventum quelques mois avant mon départ pour Sudbury et j'avais bien hâte d'être présent, tout fier que j'étais d'être devenu professeur d'université, réalisant ainsi les espérances du frère Laprote. Michel y participe également, mais non Normand qui, lui, était un finissant de 1969.
Bien que d'habitude, il doit être remis au début mai, je n'ai pas trouvé trace de mon rapport annuel dans mes archives. Seule une lettre envoyée à mon doyen Michael Dewson et datée du 2 juin, lève le voile sur mes activités de recherche.
21 juin: Je viens de vider mon condo de la rue De Lanaudière, devenant un Franco-Ontarien d'adoption. Avec Normand, je vais rendre visite à mon père à Dubuisson et un mot rédigé dans un autre livre acheté, indique que je suis en amour avec Micheline. Les rapports avec Étienne et Marjolaine sont harmonieux et me laissent rêver à une vie familiale élargie.
Été: C'est la parution d'un premier article tiré de ma thèse de doctorat. Mon article, publié à la Revue d'histoire de l'Amérique française, sert à illustrer la page de couverture de la revue.
2 août: Micheline Marchand soutient son mémoire de maîtrise avec succès. C'est ma première soutenance en tant que superviseur. Quelques mois auparavant, j'ai communiqué par téléphone avec Gaétan Gervais qui travaille toujours à Toronto afin de discuter de la délicate sélection de l'historien qui agira comme évaluateur externe. Provenant d'une autre université, cette personne joue un rôle clef dans le processus d'évaluation car elle donne en quelque sorte de la crédibilité au programme de maîtrise. C'est l'historien fort connu Fernand Ouellet qui jouera ce rôle en faisant parvenir ses commentaires par la poste. Bien entendu, Gaétan, que je rencontre pour la première fois, assiste à la soutenance comme codirecteur. J'apprends alors qu'il est d'origine modeste, tout comme moi, et que son père travaillait à l'Inco.
Pour mon plus grand plaisir, Normand et sa famille viennent me rendre visite à Place Verchères. Il en fera une habitude, venant au moins une fois par année, et plus souvent deux. La distance et les coûts exorbitants des appels interurbains feront en sorte que les autres amis de Montréal s'effaceront progressivement. Dans une lettre du 4 septembre, je fais le point avec lui sur ma situation familiale et amoureuse.
Septembre: Si, à son arrivée, on ne demande pas au nouveau professeur de s'impliquer dans les différents comités nécessaires au fonctionnement d'une université. On souhaite qu'il le fasse au cours des années suivantes car il faut être plusieurs à mettre l'épaule à la roue. C'est ainsi qu'une collègue, arrivée la même année que moi et promue vice-rectrice adjointe aux programmes en français, Dyane Adam ̶et future commissaire aux langues officielles du Canada̶ me demande d'occuper au Conseil de l'enseignement en français un des deux postes de représentants de la faculté des sciences sociales. J'accepte, tout comme mon collègue de sociologie, Donald Dennie qui devient l'autre représentant des sciences sociales. Ce sera ma contribution à l'effort de gestion et d'organisation des programmes en français, qui demeurent les parents pauvres de cette université bilingue. Je suis alors fort naïf et je crois sincèrement que ce Conseil peut véritablement changer des choses. Mon apprentissage de la vie politique laurentienne reste encore à faire.
C'est à compter de cet automne que je m'intéresse de plus près au journal étudiant francophone du campus, L'Orignal déchaîné, qui en est à sa deuxième année d'existence. L'animateur de l'équipe d'apprentis journalistes est Normand Renaud que Micheline connaît bien et qu'elle m'a présenté. En outre, un des étudiants fondateurs du journal et qui en fait la promotion, est un étudiant en histoire, Bruno Gaudette.
13-16 octobre: Je découvre un nouveau rôle que j'adore, celui d'animateur de la Société historique des étudiants de l'Université Laurentienne (SHEUL). Rôle que m'a confié Robert Toupin alors qu'il entreprend sa dernière année d'enseignement. Non seulement faut-il assister à des réunions, mais également les accompagner lors de visites historiques. C'est ainsi qu'avec Robert, nous allons visiter quelques sites historiques à Ottawa et à Montréal pendant le long congé de l’Action de Grâces. C'est le délicat rapport maître-élève en dehors de la classe qu'il faut entretenir en dosant familiarité, autorité et impartialité. L'expérience se déroule fort bien et me donne le goût d'intégrer ce rôle d'animateur dans mes fonctions d'historien universitaire.
7-10 décembre: Micheline défend avec succès le rôle de Rose Ouimet dans le show communautaire du Théâtre du Nouvel-Ontario. La pièce «Les belles-sœurs» de Michel Tremblay attire la plus grosse foule de l'histoire des shows communautaires du TNO. 
29 décembre: Louis-Philippe et moi emménageons chez Micheline à Parkland Village dans le Nouveau-Sudbury. Nous serons locataires jusqu'à ce qu'on puisse connaître, elle et moi, si nos emplois à la Laurentienne peuvent devenir permanents. Ma famille compte désormais 5 membres. La vie d'une famille reconstituée nous réserve bien des surprises.
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