LE PAYS MINERVOIS

Le pays minervois

J’ai pris un certain temps à vous donner des nouvelles. Parti de Montréal avec une bonne grippe d’homme, je me suis battu contre elle au point où j’ai dû aller voir un médecin dans le village voisin afin d’obtenir les remèdes nécessaires. Soit-dit en passant c’est très facile en France de voir un médecin sans rendez-vous, ils font tous du bureau et le coût des prescriptions reste très faible comme celui de la consultation (23 Euros, d’ailleurs remboursable par le régime public). Découvrir une région c’est aussi vivre les mêmes souffrances que celles de ses habitants !! et c’est exactement ce que je fis en attendant dans cette salle d’attente où on toussait beaucoup et où les gens, surtout de mon âge, étaient venus généralement en couple.

Le pays minervois est un terroir à cheval sur deux départements l’Aude et l’Hérault (entre Narbonne et Carcassonne). Il me fait penser à la Provence avec la même garigue, les mêmes plantes sauvages, ajoncs, romarins et thyms. Avec aussi le même vent à écorner les bœufs. La Tramontane est à la région ce que le Mistral est à la Provence. Attachez votre tuque. C’est un pays avec des vignobles partout mais aussi avec des oliviers. On produit donc une excellente huile d’olive à Bize et l’essentiel du vin est rouge. Je ne vous parle pas de l’excellent Muscat de Saint-Jean-de-Minervois où on fabrique dans une petite distillerie locale La Fine de muscat qui tire à 44% d’alcool et qui est très parfumée. Après tout il fallait bien que je me trouve un remède typiquement du coin!

Comme il se doit, je fais comme les Français et j’achète mon vin de tous les jours dans les coopératives agricoles où on trouve le vin dans ce qu’on appellerait chez nous des celliers et dans ce que, eux appellent, des Bibs (pour Bag in the Box). Le prix pour le 5 litres est autour de 8 à 10 Euros selon la qualité recherchée! Je n’ai pas encore trouvé mon vin blanc de tous les jours, car ils ne sont pas assez secs et corsés. Un vieux monsieur à qui je faisais la conversation hier (lors des mes marches habituelles) me disait d’essayer le vin blanc de Limoux, village situé à 80 kilomètres d’ici. J’essaierai sans doute. .

Demain, c’est le départ pour Barcelone où nous avons réservé une chambre dans une chaîne d’hôtels que l’on aime bien et que fréquentent surtout les Français ordinaires, soit ceux en déplacement pour le travail, la chaîne Étap. Je vous la recommande. Allez voir leur prix sur Internet et vous verrez qu’il est possible de louer des chambres parfaitement tenues pour pas cher (en autant que vous ayez une voiture car ces hôtels se situent toujours en banlieue où le coût des terrains sont minimes). On a nous prévenu de laisser la voiture à l’hôtel et de prendre les transports en commun pour visiter la ville. Micheline s’est remise à l’espagnol pour son plaisir. Elle réapprend cette langue qu’elle connaissait bien il y a plus de 30 ans. Moi, je me contenterai de mon anglais! On verra bien.

À propos de Barcelone

Arrivés en Espagne par la côte méditerranéenne, (histoire d’apprivoiser Collioure en passant), nous nous sommes dirigés vers Barcelone par la route nationale, celle qu’empruntent les routiers sans doute en raison du coût élevé de l’autoroute. C’était la première fois que je mettais les pieds en Espagne et ce qui frappé le plus, ce sont ces jeunes filles seules assises sur une chaise, le long de la route qui offre leurs charmes aux messieurs. Qu’offrent-elles exactement ? Une pipe ? Car il n’y a derrière elles ni maison, ni lieu habitable pour faire la chose. Peut-être que je manque d’imagination… À moins qu’elles utilisent les couchettes des routiers de passage. Elles sont toutes assez jeunes et, ma fois, plutôt jolies. Est-ce un effet du taux de chômage espagnol à 25% ou est-ce une pratique séculaire ? On demandera, dimanche prochain, à Michel et Guénola, des amis qui vivent en Normandie (mais dont le frère de Michel habite Madrid) et qui viennent passer quelques jours en pays minervois.

À l’hôtel, à 17h00, on est arrivés fourbus par cette longue route, notamment en raison du 50 kilomètres de route côtière avec ces sempiternels virages. Comme mon diabète exigeait sa pitance, ce fut le McDonald sis juste à côté. On a commandé le McIbérica, moi avec une salade et Micheline avec une frite. Il faut voir le hamburger, sur du vrai pain, avec du vrai fromage et une tranche de jambon, genre Bayonne ! J’en reprendrais n’importe quand ! Quant à la salade, elle est offerte avec deux sachets, un de vinaigre de Xérès et l’autre avec une huile d’olive – espagnole bien sûr ! Comme m’expliquait Micheline, en Espagne, le client fait lui-même son mélange d’huile et de vinaigre et j’avoue que cela m’a permis de mettre plus de vinaigre, moi qui ai été habitué si longtemps à boire ma piquette-maison !

Puisque je n’avais jamais vu Barcelone alors que plusieurs de mes amis l’avaient déjà visitée, je tiendrai sans doute des propos d’une grande banalité en vous parlant de l’architecte Gaudi, ce Catalan génial qui apporta à l’architecture ce que Picasso apporta à la peinture. Mal à l’aise, voire en rupture avec le «bon chic bon genre» de leur époque, ils cherchèrent d’autres formes d’expression que celles des conventions admises qui ânonnaient les valeurs sûres et la tradition des élites bien pensantes. Quelle audace dans le renouvellement apporté à l’architecture. Cette église de la Sainte- Trinité, «La Sagrada Familia», est un gigantesque camouflet aux bien-pensants européens et nord-américains. Comment une société et son élite locale ont-elles pu accepter une telle déformation des habitudes architecturales ? Non seulement Gaudi fut, au tournant du XXe siècle, révolutionnaire, mais il a fallu une bourgeoisie barcelonaise capable de financer ses projets. Y a-t-il un lien entre le fait que le foyer de résistance de la république espagnole, au temps de la guerre d’Espagne, ait été la Catalogne, farouche adversaire d’un Franco applaudi par le clergé et toutes nos élites catholiques canadiennes-françaises ?

J’ai peine à imaginer une seule œuvre architecturale aussi décapante en terre canadienne-française que ce soit dans une des ses trois capitales culturelles, soit Québec, Montréal ou Ottawa [eh oui Ottawa, a été pendant un siècle, en raison de sa fonction publique, une des trois capitales culturelles du Canada français]. Une œuvre littéraire aussi banale que «Les demi-civilisés» de Jean-Charles Harvey au milieu des années 1930, (ouvrage pourtant mis à l’index), l’unanime réprobation du «Refus global» de Borduas à la fin des années 1940 me laissent croire que ce n’est pas chez-nous que nous aurions pu, à cette époque, être aussi audacieux dans nos formes d’art.

On m’avait dit que la section romaine du Musée d’histoire de Barcelone valait le déplacement. C’est sans conviction que nous y sommes allés au départ pour voir encore des ruines semblables à celles vues lors de séjours précédents à Périgueux, Nîmes, Arles, Vaison-la-Romaine et Orange. La surprise fut fort heureuse car ce que montraient ces ruines c’était la dimension industrielle de certaines des productions romaines. J’avais toujours cru que le vin consommé en Antiquité était produit par des milliers de petits producteurs éparpillés. Sans doute était-ce le cas, mais il existait parallèlement et notamment à Barcelone des lieux de la production et de l’exportation du vin à grande échelle. À Barcelone, l’usine couvrait des centaines de mètres carrés et on a retrouvé de sa production bien identifiée sur les amphores un peu partout dans le monde romain.

Dernier élément sur ce musée : la visite de l’intérieur d’une tour de défense du système que les Romains avaient mis en place pour défendre la ville. Il faut le voir pour le croire : les Romains utilisaient tout ce qui leur tombait sur la main pour épaissir et consolider les murs : des restes de colonnes de temple, des pierres tombales, des morceaux de statues. Pour des raisons d’État sans doute, on pouvait réquisitionner n’importe quel matériel et rebut sans être inquiétés. La solidité des murs en cette aire antérieure à la poudre à canon n’exigeait pas d’homogénéité des composantes.

Impressions normandes

Ils sont partis et j’ai le cœur gros. Michel et Guénola, deux amis normands arrivés dimanche soir, sont repartis vers le Nord vendredi matin. On s’était vus à quelques reprises lors d’un souper chez eux et dans nos gîtes bourguignon et normand. Autrement dit on se connaissait à peine. Mais cette fois, on s’est parlé et apprivoisé pendant plus de 4 jours du matin au soir, partageant des choses intimes, riant de nos expressions langagières. Le défi était de taille : nous universitaires, eux artisans-tapissiers tenant leur boutique à Avranches, près du Mont Saint-Michel.

Sans doute est-ce la visite d’un producteur d’anchois de Collioure qui fut le clou de nos visites de la semaine. Lui expert cuisinier n’en avait que pour les anchois et s’était donné comme défi de faire aimer les anchois bien préparés à Micheline. Semble-t-il que les anchois de la maison Desclaux sont connus dans toute la France et ce sont ceux-là que nous nous sommes procurés sur place. Une chose est certaine, il a réussi son pari car Micheline adore maintenant les anchois !! non seulement quand ils sont fraîchement préparés et manger tout frais sur place sur une bonne tranche de pain mais quand ils sont apprêtés avec une recette espagnole toute simple (de Michel) et qui met à profit des poivrons rouges. Si on parvient à trouver à Montréal des anchois de qualité, je vous promets de vous faire goûter cette recette lors d’un bon souper.

Je m’étais trouvé un peu trop touriste nord-américain en cueillant dès l’arrivée, des bouquets de thym et de romarin afin d’améliorer notre sort culinaire et faire plus «indigène». Mais quelle ne fut pas ma surprise quand Michel et Guénola se sont mis à la recherche de plants de thym et romarin afin… de les planter dans leur jardin normand. J’ai cru comprendre que ceux achetés chez les pépiniéristes français sont stériles alors que ceux récoltés en nature pourront se propager une fois dans leur jardin. Au sujet de la sauge, je croyais en avoir cueilli, mais je m’étais trompé. Ils ont vite fait de l’identifier pour moi, tout comme le laurier comestible qui finit de sécher dans ma cuisine et que Jean-Claude m’avait pourtant appris à reconnaître lors d’un séjour précédent. Le Sud de la France c’est aussi cette nature aromatique, culinaire mais aussi à forte dimension historique comme le montrent les prochains propos.

On part tantôt pour Toulouse y passer une nuit et visiter la ville.

Toulouse et pays de «cocagne»

Malgré les réserves de Micheline qui ne s’attendait pas à grand-chose de cette ville, le séjour (du samedi midi au dimanche midi) fut en fait extraordinaire. Non seulement une superbe température comme celle que vous avez connue, nous y attendait, mais une ville pleine de jeunesse, de couleur s’offrait à nous. Comme Rennes, Toulouse est une ville universitaire qui se dope de son contingent de jeunes (voyez le jeu de mots !) et cela transparaît partout.

Pour les édifices et églises en briques, je ne peux pas dire que cela m’a ébloui. C’est un style qui me laisse plutôt froid, mais la visite de la salle romane du Musée des Augustins m’a scié les jambes. Il faut voir cette salle remplie de chapiteaux tirés de quelques abbayes voisines, montés sur des colonnes modernes de 2 mètres qui permettent, pour une fois, de les apprécier de près. Il fallait y penser.

Chef d’œuvre architectural, la voute de la nef de l’église du couvent des Jacobins, appelé «Le Palmier» (taper «Le Palmier des Jacobins» sur internet, vous pourrez ainsi comprendre ma remarque) présente une particularité amusante pour les photographes en herbe. Ce plafond que tout le monde cherche à photographier se reflète dans un grand miroir placé à 75 cm du sol autour de la colonne principale de l’église de sorte que l’on peut s’y voir et se photographier avec comme arrière-plan «Le Palmier».

Ayant décidé d’y coucher une nuit –dans un hôtel Étap bien sûr, soit celui du centre-ville à 47 Euros –, nous avons pu non seulement prendre enfin !!! un bain (je déteste, moi qui suis né à une autre époque, les douches qui se retrouvent presque tout le temps dans les gîtes), mais nous avons pu faire une autre visite le dimanche matin avant notre départ. Ce fut le Musée Saint-Raymond consacré à l’histoire romaine de Toulouse. Il faut savoir que les Romains, à chaque changement de règne, fabriquaient en série des portraits, soit des bustes voire seulement la tête du nouvel élu. Par la suite, on décapitait les statues du précédent empereur pour fixer en lieu et place la gueule du nouvel empereur. À elle seule, la tête distinguait et représentait ainsi les diverses personnalités. Il était grand ou petit, grassouillet ou squelettique, cela n’avait donc aucune importance pour la représentation du pouvoir. Revenons maintenant au Musée. Ayant retrouvé les têtes des différents empereurs et impératrices on en a fait une allée qui formait une jolie image dans cette étage vitrée du Musée.

Sans doute allons-nous revenir à Toulouse tellement ce fut agréable.

Au retour ce fut la visite du musée consacré au pastel, dans une région appelé pays de cocagne. Pour comprendre l’expression, nous nous devions d’aller y faire un tour, d’autant plus qu’en cette période de l’année il n’est ouvert que le dimanche après-midi. Dès l’arrivée, on avait toisé le guide et propriétaire du château Magrin où se situe le musée : un être chiant comme ce n’est pas possible qui a fabriqué avec des spécimens, des photos, un peu de texte et des illustrations un musée-maison qui ne valait pas les 8 euros déboursés pour chacun de nous. Mais on s’est couchés pas mal moins bête le soir en apprenant que le pastel est une plante dont on retire chaque feuille qui, après plusieurs mois et traitements, est concentrée dans des boules de la grosseur d’une balle de baseball, boules appelées «cocagne».

Ces récoltes ont fait la fortune des propriétaires et marchands de Toulouse (d’où l’origine de l’expression «pays de Cocagne»), en raison du monopole qu’ils ont su imposer sur le commerce de cette matière végétale nécessaire pour teindre et peindre dans un bleu indélébile vêtements, maisons, charrettes, navires etc. Face à la menace nouvelle de l’indigo découvert en Amérique, cette autre plante (beaucoup plus concentrée et plus simple à utiliser) fut longtemps bannie en France et quiconque s’est servait était passible de la peine de mort. Ça ne date pas d’hier, l’intervention de l’État au profit d’une minorité !

Le pays landais

Nous voilà de retour au gîte après un séjour de 4 jours en pays landais où nous avons résidé chez des amis, Renée et Laurent. Pour situer les Landes, disons que c’est à mi-chemin entre Biarritz et Bordeaux près du golfe de Gascogne dans une zone forestière et plane. Jadis terres marécageuses, les Landes sous l’impulsion de Napoléon III ont été asséchées, au XIXe siècle, par la plantation à grande échelle de pins. Autrefois, les Landais étaient de simples bergers qui se déplaçaient en échasses car avant d’être des jouets pour les amuseurs que sont les Guy Laliberté de ce monde, les échasses ont été, dans ces terres trop mouillées, des objets de première utilité pour l’homme. Aujourd’hui l’image est folklorique. La nappe phréatique est à peine à 1 mètre mais les routes sont droites sur des kilomètres où il est difficile de rouler seulement à 95 kilomètres/heure.

Visitant leur jardin, je tombe sur leur laurier-sauce qui n’est pas fleuri encore. Fort de mes connaissances nouvelles, je demande à Laurent, certain de mon coup, s’il s’en fait sécher. Étonné, il me regarde et me dit qu’il n’a pas besoin de les faire sécher puisque les parfums du laurier-sauce sont exquis fraîchement cueilli. Froissant une feuille qu’il détache, il me la fait respirer. Eh oui, il fallait faire ce geste banal pour que je découvre enfin ce qu’est le laurier-sauce. Pourquoi n’avais-je pas pris la peine de faire ce geste? Comment dire : un parfum fleuri et sucré; je viens d’en froisser une pour tenter de le décrire! Moi qui pensais que le séchage restait la voie royale pour en maximiser les effluves. C’est promis, je ne vous reviens plus sur le laurier-sauce.

Ayant demandé à voir la côte atlantique que je connaissais seulement depuis le bassin d’Arcachon ou à Biarritz, nos hôtes nous ont conduit à Mimizan. Quelle ne fut pas ma surprise d’y voir une belle papetière comme celle de chez nous, nous du Nord. Une papetière détenue par des Français qui s’appelle néanmoins The Gascogne Paper, avec ses odeurs trifluviennes qui m’ont rappelé de beaux souvenirs. Quant à la plage située 5 kilomètres plus loin, elle est sablonneuse comme celle de Normandie. Les vagues sont puissantes dans ce golfe de Gascogne et les amateurs de surf y fleurissent comme les bouquets de thym qui balisent les routes minervoises. Inutile de dire que mon plaisir à découvrir une usine semblable aux nôtres a eu l’heur d’étonner nos hôtes qui la voient comme une plaie vive dans un décor bucolique.

Retour en arrière : lors du départ de François et Annette, vendredi dernier, nous nous sommes arrêtés à l’abbaye de Fontfroide, située tout près de Narbonne. Le guide, cette fois fut excellent et nous a bien montré les étapes de l’évolution de l’abbaye depuis presque 900 ans. Étapes qui ont laissé des traces dans les bâtiments comme ces logements de nobles qui administraient l’abbaye à compter du XV et XVIe siècles. Le style renaissance des fenêtres ajoutées à l’étage voisinent, au rez-de-chaussée, des fenêtres gothiques. Dans la chapelle, un style roman en transition vers le gothique (on n’est pas passé du roman au gothique instantanément à minuit!) Le côté hétéroclite de l’ensemble montre de belle manière comment les monuments quels qu’ils soient ont tous connu des dérives, des ajouts que le recul du temps perçoivent comme des fautes, des écarts qu’il faut éradiquer.

Cela me fait penser au débat qui a cours à Rieux-Minervois (situé à 15 kilomètres d’ici) où la magnifique petite église circulaire est en voie de restauration. [Deux mots avant sur cette église heptagonale. Vous avez bien lu : heptagonale avec ses sept côtés, ses sept colonnes et son clocher à 7 côtés. L’autel, fait de marbre rouge provenant d’une carrière de marbre tout près, est au centre de sorte que le célébrant est tout près de ses fidèles.] Au lendemain de la révolution, la communauté faisait marquer sur un des murs extérieurs de l’église le fameux Liberté, Égalité, Fraternité. Maisons, ateliers et chapelles s’étant depuis agglutinés sur certains côtés, on cacha sans le vouloir cette devise. Faut-il aujourd’hui, alors que l’on démolit ces bâtiments qui jouxtent l’église, laisser paraître la devise qui marque une époque tout aussi légitime que celle des temps primitifs. Belle question vous conviendrez! .

Je vous quitte là-dessus. Demain départ pour le village de Cordes-sur-ciel et Albi où nous coucherons, histoire de se donner le sentiment de courtes vacances dans ce séjour qui, déjà, compte 5 semaines d’écoulées. .

Joyeuses Pâques maudits chanceux qui avez le luxe de pouvoir chômer 4 jours de suite!!!

À propos de Carcassonne

Samedi dernier, il faisait beau et nous nous sommes dirigés à Carcassonne que nous avions vue en 1993. Comme cette ville-forteresse est située à 30 kilomètres du gîte, ce fut une manière de passer le temps, dans la mesure où notre voyage vers Albi et Cordes-sur-Ciel avait été reporté en raison de la météo. Les seuls souvenirs qui restaient étaient la dimension cyclopéenne de ses défenses. Première surprise : il y a deux Carcassonnes ; il y a Carcassonne-cité, située sur les hauteurs que le monde entier visite pour sa reconstitution des murailles, mais il y a aussi Carcassonne la bastide (Bastide saint-Louis), érigée en plaine par le roi aux XIIIe et XIVe siècles afin d’éloigner artisans et marchands du pouvoir central que la récente contestation cathare avait rendu craintif. Pour comprendre les Cathares, cette religion qui se développe dans le Sud-Ouest au XIIe siècle, il faut les voir comme les premiers protestants qui ont proposé une relecture plus terre à terre de la bible, sans ostentation, sans la virginité mariale, sans le mystère de la transsubstantiation (pour les plus jeunes, c’est le pain et le vin lors de la messe qui, selon les Catholiques, se changent en corps et en sang du Christ), etc. .

Stationnés dans la bastide dont nous ignorions jusqu’alors l’existence, c’est une ville pleine de vie, de monde ordinaire que nous découvrons. Il faut dire que c’est jour de marché à la place Carnot Pour ainsi dire aucun touriste car ils sont tous occupés à visiter l’autre Carcassonne qui en ce samedi saint, soit une longue fin de semaine de congé, est devenue espagnole tellement ils y sont nombreux à avoir fait le trajet. Pour ainsi dire aucun Asiatique et peu d’Allemands, que des Catalans ou des Espagnols visitant en famille et dont les enfants ont acheté ces épées de plastique et autres bébelles que les commerçants sans imagination vendent partout. Comme on le découvrira plus tard, les véritables artistes et artisans ont, en fait, élu domicile à Cordes-sur-Ciel que nous visitons le lundi de Pâques. .

Je n’avais jamais entendu parler de Cordes avant notre arrivée. Peut-être que pour vous aussi cette destination vous est étrangère. On vous la recommande vivement. Si vous allez voir cette splendeur de cathédrale Sainte-Cécile à Albi, c’est tout près ; faites un détour. Cordes-sur-Ciel (autrefois Cordoa) fut ainsi rebaptisée récemment après un référendum populaire et ce malgré la désapprobation de l’État français. Cette une colline ayant la forme d’un mamelon d’une centaine de mètres de hauteur complètement habitée avec des rues pavées de pierre qui montent jusqu’au sommet avec la traversée de nombreuses portes qui perçaient d’ anciennes murailles pour défendre la ville contre la Couronne française dont la catholicité bien empressée se servit du prétexte de l’hérésie cathare pour prendre au royaume d’Aragon, ce vaste territoire du Sud-Ouest. .

De jolies boutiques sans bébelles émaillent les rues. Micheline s’y ait acheté une bague d’un joaillier artisan fort sympathique qui nous confia même sa boutique, le temps qu’il se rende chez lui pour chercher un peu de monnaie. Rien à voir ici avec le rapport purement marchand qui sévit à Carcassonne ! Là-bas des valeurs d’échange y dominent tandis qu’ici ce sont des valeurs d’usage qui y fleurissent comme ces glycines mauves qui parfument présentement l’ambiance un peu partout. .

Ayant passé 4 heures à déambuler dans Cordes, nous sommes ensuite dirigés vers Albi, où le musée Toulouse- Lautrec et Sainte-Cécile nous attendaient. .

Au sujet de cette dernière qui domine la ville il faut dire qu’il s’agit d’une cathédrale érigée comme une forteresse aux lendemains de l’éradication cathare. En réponse à la critique et à la menace toujours possible des Cathares, on décida d’ériger cette cathédrale haute de 70 mètres et faite de millions de briques dans une sobriété exemplaire. L’intérieur c’est autre chose et pour comprendre il faut aller sur Internet (tapez Sainte-Cécile Albi) pour y verrez une cathédrale complètement décorée avec, entre autres, une immense fresque représentant l’enfer et le paradis. Un siècle plus tard, alors que l’hérésie cathare était bien éteinte, on y ajouta un portail de style gothique triomphant à l’image de l’orthodoxie catholique ! Quant au musée Toulouse-Lautrec, sis dans l’ancienne résidence épiscopale (Palais de la Berbie), ses œuvres les plus connues y sont de même que de nombreuses œuvres de jeunesse qui ont beaucoup plus à Micheline. .

L’Arriège

Peu importe si la météo annoncée risque d’être fâchée, la décision est prise de voir de plus près les Pyrénées en nous rendant en Arriège, département fétiche souvent évoqué dans les médias sans que nous ayons en tête une seule image de son paysage. Deux lieux voisins sont au programme de ce jeudi 12 avril. Douze avril qui, dans mon ancienne vie de professeur à la Laurentienne, me rappelle le matin le plus tardif d’une traversée de mon lac Ramsay encore suffisamment gelé. Le parc de la préhistoire de Tarascon-sur-Arriège et la grotte ornée de Niaux nous ramèneront, on l’espère, dans les temps des hommes du néolithique, il y a 15000 ans. .

Après deux heures de route, nous arrivons au Parc pour l’ouverture de 10h00. Trois ateliers pratiques en plein air nous attirent, d’autant plus qu’il ne pleut pas encore : ceux sur la chasse, la taille du silex et la fabrication du feu. Micheline a sa caméra et je me promets bien, cette fois, de ne pas effacer les précieuses images qu’elle va emmagasiner (j’ai effacé par mégarde les films tournés à Carcassonne, Albi et Cordes).

L’atelier de la chasse a pour but d’expliquer le rôle essentiel de l’invention du propulseur, cette pièce de bois d’une cinquantaine de centimètres utilisée par tous les peuples préhistoriques afin de multiplier la puissance de la lancée d’une sagaie, car elle rallonge la portée du bras. J’avais lu que cela multipliait par trois la distance et la force du jet. Pour abattre une bête, cela facilitait le travail en permettant d’atteindre des cibles beaucoup plus loin ou encore des cibles proches mais demeurées invulnérables en raison de la faible pénétration de la sagaie. J’étais sceptique, comment cette simple pièce pouvait s’avérer aussi efficace. La guide fait la démonstration en lançant vers des cibles une sagaie sans et avec le propulseur. Je suis stupéfait : la distance parcourue est en effet 3 fois supérieure. J’essaie à mon tour et sans aucune pratique j’arrive aisément à multiplier par deux la distance des sagaies lancées. J’imagine sans peine le premier homme qui a fait cette découverte et qui a fait la même démonstration devant nos lointains et stupéfiés ancêtres! .

Le prochain site extérieur propose les deux autres ateliers. On avait vu en Dordogne en 2009, la taille du silex, sans explication et surtout sans démonstration quant à la fabrication et à l’utilisation d’outils. Expliquant la préparation du silex, il en dégage quelques éclats avec lesquels il fabrique devant nous un grattoir, un couteau, une petite scie et une perceuse. Il montre d’abord que le côté tranchant d’un éclat de silex découpe facilement les peaux très épaisses que le grattoir a préalablement préparées. Voulant couper une corne d’une bête, il prend sa petite scie faite en 10 secondes (le côté tranchant d’un éclat a été édenté à des intervalles réguliers sur une longueur de 6 centimètres) et nous démontre son efficacité. Travailler les os exige aussi l’emploi de la scie et même d’une perceuse qu’il a employée en se servant de la pointe d’un éclat afin de faire le chat d’une aiguille tirée d’un morceau d’os! Je comprends mieux le travail de mes ancêtres qui ont reproduit ces gestes des dizaines de milliers d’années.

Ayant réfléchi sur la fabrication du feu à partir de l’amadou (Des champignons et des hommes), et croyant connaître la démarche, j’ai bien apprécié l'expérimentation. Puisque Micheline a tourné intégralement la scène, vous pourrez dès maintenant vous régaler avec son film appelé LA FABRICATION DU FEU. Pour faire une histoire courte, nos ancêtres avaient découvert, à force de frapper les pierres de leur environnement, que la marcassite, (une sorte de pyrite de fer qui contient beaucoup de soufre), produisait lors de sa percussion avec une pierre plus dure comme le silex, des étincelles chaudes et longuement incandescentes grâce aux particules de soufre dégagées. À l’aide d’un champignon dont on extrayait une partie appelée l’amadou, on préparait un matériau favorable à la réception des précieuses étincelles produites, ce qui, si tout se déroulait bien, permettait de produire une petite braise. J’avais vu des images, mais jamais de démonstration. Ce que je n’avais pas compris est que certes l’amadou pouvait être préparé avec du salpêtre (ingrédient naturel entrant dans la fabrication de la poudre à canon), mais plus simplement encore en grattant la marcassite de manière à déposer sur l’amadou une fine poudre que la moindre étincelle n’aurait aucune difficulté à consumer, en raison des particules de soufre, gratté. Soufre que l’on retrouve dans nos bonnes vieilles allumettes. Selon lui, les marcassites trouvées dans les grottes lors des fouilles comportaient distinctement deux types de marque, soit des traces de grattage mais aussi des impacts de percussion. Ayant acheté à la boutique du Parc un ensemble complet pour refaire l’expérience, je compte bien vous en faire la démonstration un de ces jours. .

Deux mots en terminant sur le Musée du parc consacré à l’art préhistorique et dans lequel on trouve une reproduction à l’identique d’une section de la grotte de Niaux. Les spécialistes croient aujourd’hui qu’il n’y aurait pas eu de lente évolution de l’art depuis 500 000 ans, mais plutôt une profonde rupture apparue il y a seulement 40 000 ans avec l’arrivée de l’Homo sapiens en Europe. Homo sapiens qui a fini par déloger l’homme du Néandertal qui, lui, habitait les lieux sans avoir démontré de véritables capacités artistiques, tout en disposant d’une riche culture matérielle. L’art en tant que capacité de représentation abstraite serait ainsi né il y a seulement 40 000 ans… à moins que l’on ne fasse d’autres découvertes. Les amitiés transatlantiques

Déjà la dernière semaine et l’heure du bilan approche, bien qu’il nous reste encore quelques belles visites à faire : Toulouse où nous serons à compter de jeudi et le musée de l’Inquisition de Carcassonne. La constante lors de ce séjour aura été les rencontres avec des amis transatlantiques. En effet, aucun membre de la famille ni de nos amis nord-américains ne sont venus vous voir cette fois-ci (à l’exception de François et d’Annette qui sont à cheval entre l’Europe et l’Amérique).

Quel sens faut-il à ces amitiés nord-américaines? Quel horizon d’attente et d’espérance faut-il leur accorder? Micheline aura 65 ans cet automne et ces longs séjours à l’étranger la fatiguent en raison des kilomètres avalés de sorte qu’un jour prochain, on se contentera de croisières fluviales (sur le Danube et sur le Rhin ) et sans doute de croisières méditerranéennes. Comme nous achevons ces séjours −bien que le printemps prochain on rêve à s’installer en Touraine−, il faudra bien un jour cesser de se voir. La santé de Claudine, Guénola et de Renée, les 3 compagnes de ces amis européens, réduisent considérablement les possibilités qu’ils viennent à leur tour nous voir. En revanche, la technologie SKYPE et autres innovations permettront peut-être de réduire les distances et nourrir les relations.

Par ailleurs, l’absence d’amis et de membres de la famille et le sentiment de ce grand vide ressenti après chacun de leur départ ont peut-être magnifié l’intensité des échanges survenus lors de leur séjour avec nous. Vivre trois ou quatre jours, 24 heures par jour, avec des gens multiplient les échanges et les chances de trouver d’autres terrains d’entente. S’agit-il d’amitiés qui ont de l’avenir? Je ne sais pas. Mais le temps le dira.