"M'en revenant de la jolie Rochelle, j'ai rencontré...": printemps 2018

Revenir en France après 18 mois d’absence, c’est avoir à reprendre certains plis, à revoir des gens et des lieux tout en cherchant de nouvelles découvertes. Il a d’abord eu Nantes où nous sommes atterris afin de récupérer notre Citroën. Nantes qu’on a revue depuis le même hôtel Etap qu’à l’automne 2013 dans une chambre aménagée de la même façon. Pour éviter les redites, on s’est donné comme programme d’aller voir l’allée Barbara dans la banlieue nord de Nantes, soit à Carquefou, pour admirer la statue de la chanteuse. Micheline m’avait appris à l’aimer lorsque, faisant la route Sudbury-Montréal dans notre Westphalia, nous écoutions une cassette de ses meilleures chansons. Et je voulais voir la rue de «La Grange-au-loup» de la chanson, rue qui n’existait pas au moment de la création de la chanson et qui fut nommé en honneur de Barbara après sa mort. L’allée Barbara, c’est tellement petit, qu’on l’a d’abord manqué en descendant la rue de La Grange-au-loup. La statue est en proportion de ce petit parc, c’est-à-dire modeste mais chargée d’une certaine émotion, qu’a sans doute mieux sentie Micheline que moi. À l’épicerie Leclerc, les mêmes longues files d’attente à la caisse, le même département des fruits et légumes, mais une belle rangée de viniers dans laquelle je me suis procuré un 3 litres de Sauvignon de Touraine pour 12 Euros. Que dire du fromage de brebis Etorki que nous avons vu pour la première fois vendu en tranche et que nous avons savouré avec des crêpes bretonnes.

À l’époque, nous n’avions pas pu visiter le musée d’Arts de Nantes car il était fermé en raison d’une reconstruction majeure. Sa visite du vendredi 9 mars nous a beaucoup plu car nous y avons vu un musée composé d’une douzaine de grandes salles et offrant de belles toiles de quelques peintres connus, dont plusieurs Kadinsky. La toile qui me reste en tête est intitulée Le Déluge; elle est signée par un peintre dont je ne connaissais pas l’existence, Léon-François Comerre qui l’aurait peint en 1911, comme s’il avait anticipé la catastrophe de la Première Guerre mondiale qui ne laissa personne indemne. Sa dimension hors norme, −elle fait près de 15 pieds de largeur (448 cm)− et les expressions lugubres et désespérées des personnages et des animaux, solidaires d’un même drame, m’ont jeté par terre. Je vous laisse apprécier l’œuvre. Assurément que recommencer une visite de Nantes valait le coup!

La Rochelle

Si Nantes était notre destination à l’arrivée et le sera au départ, le gîte loué à M. et Mme Liedts pour un mois est situé à deux pas du vieux port et de la magnifique gare. Un appartement à deux chambres très éclairé avec un stationnement privatif absolument nécessaire pour vivre dans un quartier quadrillé de parkings payants. En prime, à une minute, une allée commerciale de plus de 100 mètres certes en déclin mais en arcade, ce qui m’a permis lors de nombreux jours de pluie de faire mes marches à l’abri.

Cette année, nous sommes venus au printemps plutôt qu’à l’automne, comme ce fut le cas au cours des dernières années, afin de revoir la symphonie des floraisons printanières. Comme prévu les mimosas étaient déjà en fleur à notre arrivée. Deux semaines plus tard, lors d’une visite chez nos amis Renée et Laurent dans les Landes, les cognassiers japonais et les forsythia l’étaient aussi tandis que les saules pleureurs présentaient leur feuillage vert tendre.

L’image la plus connue de La Rochelle est sans doute celle des deux tours moyenâgeuses de l’entrée du vieux port, soit la tour Saint-Nicolas et celle plus ronde de la Chaîne −les deux étant reliées à l’époque par une chaîne amovible afin de barrer éventuellement l’accès au port. C’était l’image que j’avais conservée depuis notre première visite en 1993. Se promener dans le vieux port, le long des remparts et déambuler sur les quelques rues piétonnières à proximité demeure LE circuit touristique classique. Souvent je suis allé jusqu’à leur pied lors d’une marche sans pluie.

Venant du Canada, La Rochelle a une signification particulière puisque près de la moitié de tous les départs de la France vers la Nouvelle-France s’est effectué depuis cette ville. L’Office de tourisme propose même un circuit intitulé «Chemins du Québec» afin de découvrir les lieux de mémoire canadiens de La Rochelle. Ce n’est donc pas un hasard si mon ancêtre Gaudreau, natif de l’Île de Ré, toute proche, soit parti d’ici en 1677. La dernière image que nos ancêtres quittant La Rochelle ont eu de la France est justement composée de ces deux tours, ce qui me les rend encore plus familières. Il n’est peut-être pas étonnant alors que La Rochelle soit connue chez nous grâce à une vieille chanson que souligne le titre de ce récit et qui confirme les liens étroits entre cette ville et la Nouvelle-France.

J’avais lu que l’aquarium de La Rochelle n’était pas à négliger. Mais après avoir visité celui de Saint-Malo et de Monaco, je ne m’attendais pas à des découvertes spectaculaires. Pourtant quels beaux moments nous y avons passé! Si d’aventure vous avez un aquarium à visiter en France, c’est celui-ci, et de très loin. Les poissons sont répartis selon leur habitat, au large ou près des côtes et donc soumis ou non aux marées, qu’ils sont d’ailleurs parvenus à fort bien expliquer visuellement, et dans les différentes mers et océans. Plusieurs bassins reproduisent même le mouvement des vagues. Bien sûr on y trouve de belles méduses et une pieuvre de belle taille fort agitée. En fin de section, une forêt tropicale avec des piranhas, mais aussi quelques plantes d’usage mondial, comme le vanillier que je n’avais jamais vu auparavant et qui m’a fait penser à ma petite-fille Justine avec qui nous avons fait, lors de sa dernière visite, un sucre vanillé. J’avoue que j’ignorais qu’il faisait partie des orchidées à liane. Eh oui se coucher moins bête le soir...

Et ce fut Rochefort avec sa corderie royale installée au XVIIe siècle le long du fleuve la Charente, ce cours d’eau sinueux et vaseux. La longueur du bâtiment étonne d’entrée de jeu, mais s’explique par la technique alors en usage pour fabriquer des cordages. Il faut d’abord savoir que la matière première est le chanvre et que le procédé exige de torsader des fils de chanvre, c’est-à-dire de tourner sur eux-mêmes des fils l’un autour de l’autre dans un plan continu et rectiligne. C’est pourquoi au niveau supérieur du bâtiment on fabriquait des fils de chanvre, appelés des carets, d’une longueur de 300 mètres de longueur. Ceux-ci étaient ensuite déplacés au rez-de-chaussée afin de confectionner différentes grosseurs de câble selon le nombre de carets utilisés. Ces cordes et câbles, devaient être d’une encâblure de longueur, soit un peu moins de 200 mètres ,−notamment pour confectionner le câble de l’ancre. On comprend sur place pourquoi il fallait un bâtiment d’une telle longueur et pourquoi des carets de 300 mètres, une fois torsadés, deviennent des câbles de 200 mètres. J’ai retenu de cette visite cette phrase de la guide : la construction d’un bateau requiert presque autant de cordages que de bois.

Encore un bunker!

En me parlant du bunker de La Rochelle, j’avais rétorqué à Micheline : “Tu ne veux pas me faire visiter un autre bunker! Après tous ceux vus en Normandie, je ne vois pas ce que j’aurais de neuf à apprendre.” J’avais pourtant tort pour plusieurs raisons à commencer par sa grande taille, son mobilier et le fait qu’il ait servi de lieu de résidence des officiers sous-mariniers de la 3e flottille basée à La Rochelle-La Pallice, une des cinq bases sous-marines allemandes de l’Atlantique. Situé en plein cœur de la vieille ville, l’endroit n’est guère facile à trouver, mais dès l’entrée on est sidéré par ses murs affichant de grandes fresques qui évoquent une bande dessinée sous-marine. À côté d’une porte blindée, on y voit, par exemple, des poissons, une sirène, comme si la guerre qui faisait rage était une illusion. C’est en 1942 que deux Allemandes en visite à La Rochelle, Ruth Monsheimer et Annie Chérié, ont peint ces dessins naïfs qui font tellement contraste avec la dure réalité des sous-mariniers qui avaient fort peu de chance de revenir vivants de leur mission en Atlantique. En dépit de son appétit insatiable pour l’horreur, la guerre n’avait pas tout avalé! À la réflexion, ce fut assurément un de mes coups de cœur du voyage.

Le salon du livre de Paris

Parmi nos projets, il y avait deux séances de dédicaces au salon du livre de Paris pour Micheline. C’est à la suggestion de son éditeur, Marc Haentjens des éditions David, qu’elle avait accepté avec enthousiasme de passer quelque temps à Paris. Une fois sur place, on remarque qu’une trentaine d’auteur(e)s se remplaceront à tour de rôle au kiosque du Québec où trois tables avaient été assignées pour cet exercice toujours un peu gênant.

Le salon de Paris est en fait très semblable à ceux fréquentés au Canada, mais en beaucoup plus grand. Les mêmes autobus scolaires pour les visites étudiantes. Les mêmes séances de signature publicisées d’avance. Les mêmes maisons d’édition françaises, etc.

Au final, il s’agit pour Micheline d’une réussite somme toute modeste peut-être, mais d’une réussite bien réelle pour une auteure qui pendant 8 ans a façonné, souvent dans le doute, son manuscrit. Du point de vue de la classe ouvrière −dont elle et moi sommes fièrement issus−, sa présence au salon de Paris aurait constitué un formidable succès pour ses parents.

Une émission de télé qui me laisse pantois

J’ai toujours prétendu avoir été privé de télévision dans ma jeunesse et que je devais me reprendre à la retraite. Venir en France demeure ainsi pour moi une occasion de me rattraper tout en voyageant à travers le prisme de leur petit écran. Pourtant à l’antenne depuis une dizaine d’années, je n’étais jamais tombé, au fil de mes précédents séjours, sur cette émission diffusée à C8. De jolies jeunes filles, −et occasionnellement de beaux jeunes hommes− lisent, une bonne partie de la nuit, des romans pour les insomniaques et quelques voyeurs sans doute. Du 19 au 23 mars, Moby Dick de Herman Melville était au programme. Plus haut, la lectrice du lundi matin ensuite sa remplaçante du lendemain. Le 24 mars, on nous lisait La maison Tellier de Guy de Maupassant! Allez sur YouTube et vous trouverez de nombreux extraits d’émissions antérieures.

Non seulement les lectrices sont toutes fort jolies, mais certaines, dans leur pose, me paraissent aguichantes. Avec cette émission, j’ai mesuré le fossé dans les rapports homme-femme entre la France et le Québec car je ne crois pas qu’une telle émission puisse voir le jour chez nous. Cela dit, il faudra sans doute que je m’attarde davantage à la qualité de leur lecture plutôt qu’à leur allure pour m’en faire une meilleure idée.

Revoir Renée et Laurent dans les Landes

Le choix de La Rochelle pour notre séjour reposait en partie sur le fait que nous ne soyons pas trop loin de nos amis Renée et Laurent qui vivent dans les Landes à Sore et de notre amie Guénola installée à Avranches en Normandie. Même si nous n’avions pas vu Renée et Laurent depuis avril 2012, ce fut comme si c’était hier. J’en ai profité pour leur demander leur avis sur cette fameuse émission de télé, mais ils ne la connaissaient pas. La visite chez Clavé de Labouc, producteur d’Armagnac depuis 4 générations fit, bien sûr, partie d’une randonnée dans la région que nos hôtes nous ont offerte. Vous connaissez mes goûts pour les digestifs; j’en ai rapporté que certains auront peut-être le loisir de goûter au retour!

La visite des tours Saint-Nicolas et de la Chaîne

On trouvera sur le chemin de ronde de la tour Saint-Nicolas des photos du milieu du XIXe siècle entre les créneaux; elles montrent le vieux port tel qu’il apparaissait depuis ce même point de vue. La comparaison entre La Rochelle hier et aujourd’hui est saisissante et mérite à elle seule de gravir les marches jusqu’en haut.

En présentant une exposition sur les relations entre la ville et l’Amérique, la tour de la Chaîne a attiré mon attention sur un détail passé jusque-là inaperçu par ses concepteurs. Examinant la reproduction d’une gravure du XVIIIe siècle du vieux port sur un grand panneau, je me suis rendu compte qu’il l’avait fait imprimer à l’envers : la tour de la Chaîne avait par enchantement pris la place de l’autre! Ayant prévenu le personnel en place, on peut espérer qu’elle ait été réimprimée correctement lors de votre visite, sinon mentionnez-le.

Des paysans de la mer

Comme il se devait, l’Île de Ré, pays de mes ancêtres, était au programme. Le musée Ernest-Cognacq, de Saint-Martin-en-Ré, offre un excellent portrait de l’histoire de l’île et pourrait fort bien servir d’introduction à votre arrivée. On y apprend notamment que la célèbre prison de Saint-Martin a longtemps abrité les condamnés au bagne exilés en Guyane. Du même souffle, j’ai pu conclure qu’au moment du départ de mon ancêtre Gaudreau en 1677 pour la Nouvelle-France, la prison n’avait pas encore été créée de sorte qu’il fallait écarter l’hypothèse voulant que cet ancêtre avait été un ancien bagnard! La blague que j’avais toujours faite à savoir que «mon ancêtre n’était pas un bagnard repenti mais un geôlier!» n’avait même plus sa raison d’être.

Les habitants de l’île, les Rétais, n’étaient pas de pêcheurs en haute mer mais plutôt −j’ai adoré l’expression−des paysans de la mer qui exploitaient les marées pour extraire par exemple le sel des marais salants, pour récolter le varech comme engrais, mais aussi pour pêcher le poisson grâce à des écluses qui piégeaient les poissons lorsque la mer se retirait à marée basse. En somme disait un panneau, ils étaient des «pêcheurs à pied»! Peut-être venais-je de comprendre pourquoi ni mon père ni mon grand-père paternel ne s’adonnaient à la pêche dans cette Abitibi pourtant poissonneuse et qu’ils ne m’avaient pas transmis les joies de cette pratique, pas plus d'ailleurs que je ne l'ai fait pour mes trois enfants.

De Guénola et d’une exposition au Scriptorial d’Avranches

Rendre visite à notre amie Guénola en Normandie afin de partager avec elle la dure épreuve du suicide de son chum il y a deux ans faisait assurément partie des premiers objectifs de ce voyage. Puisqu’elle profitait du long congé pascal, elle nous avait invités et nous l’avons trouvée forte et déterminée et cela fut particulièrement agréable. Merci Guéno pour toutes tes confidences.

Une météo réfractaire nous a incités à aller voir avec elle une nouvelle exposition au Sciptorial d’Avranches −musée qui renferme notamment les manuscrits du Mont Saint-Michel et présenté dans un autre récit. Quelle belle exposition! On y mettait à l’affiche une soixantaine de toiles du gardien de phare François Jouas-Poutrel qui a eu la belle idée de se mettre dans la peau de différents peintres célèbres afin de dessiner le Mont Saint-Michel. Mes deux préférées ont été ses représentations de Brugel et de Chagal. Et quel bel outil pédagogique que le livre publié par l’auteur en 2010 afin de présenter ses toiles!

Une météo de merde et la grève d’Air France

Durant tout le voyage la météo ne s’est guère prêtée à l’allégresse. Elle a été pourrie: un peu plus frais que la moyenne (mais nettement mieux que celle qui sévissait à Montréal) de trop rares moments ensoleillés comme ceux de notre de passage dans les Landes et à Saint-Martin-de-Ré, beaucoup de pluie. Aucune occasion de porter la culotte courte tandis que Micheline a dû s’acheter un véritable imperméable qui lui restera néanmoins en souvenir Est-ce que la peinture du Déluge de Nantes était prémonitoire?

Au cours de nos précédents voyages, on avait l’habitude de composer avec les éléments, se réservant, lors des planifications de sorties, des musées pour les jours de pluie. Mais, la liste de ces lieux qui nous mettent à l’abri s’est épuisée, même avec les nouvelles perspectives de la véritable saison touristique amorcée avec le congé pascal. Il resta les salles de cinéma.

Et comble de malheur le syndicat des employés d’Air France annonçait le 26 mars quelques jours de grève dont le 7 avril; jour de notre date de retour. Certes l’entreprise avait précisé du même souffle qu’elle s’engageait à maintenir malgré tout 75% de ses vols lors des grèves, mais cela est venu cruellement gâcher notre voyage. Sans savoir cependant quels seraient les vols qui seraient effectivement annulés le 7, l’entreprise espérait ainsi que d’eux-mêmes les passagers se trouvent d’autres vols. Nous avons été tentés par cette offre, mais nous avons décidé d’attendre d’être à Nantes la veille de notre départ pour se rendre directement à un comptoir d’Air France afin de discuter sur place des options offertes. Entre temps, ma sœur Céline, ma bonne étoile, allait peut-être intercéder en notre faveur.

Moi qui suis réglé comme une horloge afin de bien gérer mon diabète, qui aime bien planifier nos programmes de visite, qui la veille de mes journées de travail préparais le linge porté le lendemain, j’ai dû accepter l’incertitude. J'ai dû apprendre −non sans peine− à vivre avec cette épée de Damoclès sur ma tête qui finalement n’est jamais tombée puisque nous sommes revenus le 7 avec un départ de Nantes à 6h00, une longue escale de 11 heures à Paris pour prendre enfin le vol de retour à 18h00.

Pour finir le seul ego-portrait de nous deux de tout le voyage; il faut malgré tout être de son temps!